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Les immigré·e·s : les oublié·e·s de la crise

Dernière mise à jour : 11 juin 2020


A titre liminaire, il me paraît opportun de « déclarer mes intérêts ». Je suis fille d’immigré·e·s, fièrement Suissesse naturalisée d’origine Portugaise, mais les exemples dont je parle ne s’appliquent pas forcément directement au cas de mes parents.



Les métiers essentiels occupés par les femmes*, mais aussi les étranger·ère·s

A leurs fenêtres, sur les réseaux ou les médias, la population suisse, dont des personnalités publiques, ont tenu à remercier le personnel soignant au front face à l’épidémie, mais également aux travailleur·se·s dit·e·s essentiel·le·s. Cette crise a en effet mis en lumière ces métiers de l’ombre qui servent à subvenir aux besoins les plus basiques notre société : soins, vente de produits alimentaire, nettoyage des rues et des espaces de vie.

Il a beaucoup été souligné que ces travailleurs et travailleuses sont surtout des travailleuses, en charge de la sphère reproductrice de la société - en termes marxistes - ou dudit travail du care : nourrir, soigner, nettoyer. Elles font partie des personnes les plus pénalisées de l’échelle salariale, en plus des conditions de travail les plus dures (métiers souvent éprouvants physiquement et stressants, notamment dans la vente, emplois payés à l’heure, etc). S’il a été souligné, à juste titre, que ces métiers sont exercés par des femmes*, il a été peu évoqué que ces postes sont aussi majoritairement occupés par des personnes “étrangères”.

Ce n’est en effet pas qu’un cliché que les immigré·e·s occupent très souvent les emplois les plus précaires, mais aussi les plus essentiels de notre société. Les clichés de « la femme de ménage » ou de « l’éboueur étranger·ère » sont vérifiés par les statistiques de l’OFS sur l’occupation des professions dites élémentaires. Ces professions comprennent, selon l’OIT[1], les activités de nettoyage, de vente, les manœuvres dans l’agriculture, les transports ou la construction ou des voiries[2], les professions que nous voyons aujourd’hui comme “essentielles”.

Autres travailleur·euse·s essentiel·le·s et salué·e·s, en particulier en ce temps de pandémie, les infirmier·ère·s comptent aussi parmi leurs rangs de nombreuses personnes étrangères. Par exemple parmi le personnel infirmier du CHUV, on compte 53% de personnes étrangères, si on ne prends pas compte les personnes Suisses potentiellement naturalisé·e·s.

La précarité et l’incertitude

D’autres groupes de métiers occupés par beaucoup d’étranger·ère·s sont aussi parmi ceux où il existe une grande part d’incertitude et d’instabilité.

On peut prendre l’exemple du milieu de l’hôtellerie-restauration. Les salarié·e·s, des serveur·euse·s aux aides de cuisine, en passant par les blanchisseur·se·s des hôtels, sont très souvent des travailleur·euse·s à temps plein, temps partiels ou saisonnier·ère·s immigré·e·s. Ceux-ci sont sujet·te·s aux mêmes incertitudes que leurs employeur·euse·s. Par exemple, il y a eu l’incertitude sur le moment de la reprise du travail ainsi que sur sa forme, accompagné bien sûr du risque de contracter le virus au moment de ce retour vu la proximité avec la clientèle. Pour certain·e·s il existe carrément l’angoisse de perdre son travail, comme dans beaucoup de PME, car l’entreprise pourrait faire faillite ou se retrouver dans une situation qui la pousse à licencier du personnel.

Ces travailleurs et travailleuses sont par ailleurs soumis·e·s au chômage partiel, puisque leurs lieux de travail ont été contraints de fermer. Si leurs salaires sont déjà très bas, il est rabaissé par la réduction d’horaires de travail (RHT) de 20% et certain·e·s sont privé·e·s du pourboire sur lequel ils et elles comptaient pour boucler leurs fins de mois.

Nous pouvons aussi parler des métiers à l’heure ou temporaires qui sont peu conditionnés par des droits. Pendant que les temporaires perdent leur revenu car ils ne peuvent travailler, le personnel domestique dont les femmes* et hommes* de ménage ou les nounous se retrouvent dans l’incertitude. La première de savoir s’ils et elles vont être payé·e·s par leurs employeurs et employeuses, n’étant pas soumis·e·s au chômage partiel s’ils et elles se voyaient refuser de travailler, même déclaré·e·s. Ces particuliers qui ne paient pas leur(s) employé·e(·s) congédié·e(·s) créent ainsi un manque à gagner qui met ces salarié·e·s à l’heure dans une situation instabilité, voir de précarité. S’ils et elles ont continué à travailler, la peur de contracter le virus peut également survenir car ces personnes sont au contact d’autres et de leurs effets personnels.

Avec et sans papiers, un danger éminent

Alors pourquoi cette situation d’instabilité vis-à-vis du gain est particulièrement préoccupante pour les personnes étrangères? Les situations administratives de beaucoup de ceux-ci sont aussi très précaires et conditionnées par leur activité. C’est particulièrement le cas des personnes sans papiers qui marchent sur des œufs plus que jamais: par la peur même d’être licencié·e ou expulsé·e ou de ne pas accéder aux services de base à cause de la méconnaissance de leurs droits, par exemple.[4]

Avec des papiers, la situation est certes plus stable grâce à l’Accord pour la libre circulation des personnes notamment (pour les ressortissant·e·s des pays de l’UE/AELE) mais elle crée un grande inquiétude dans la vie de ces personnes. Comme le sentiment d’être indésiré·e·s sur le territoire suisse, accentué plus encore par les revendications xénophobes et racistes de l’extrême-droite suisse.

La loi sur les étrangers (LEtr) stipule néanmoins qu’une personne au bénéfice d’un permis de séjour touchant l’aide sociale, court le risque de perdre son droit de séjour et/ou d’établissement, lorsqu’elle n’est pas soumise à l’accord cité plus haut. Malgré tout, la jurisprudence sur le sujet est plus clémente et humaine, permettant ainsi d’ouvrir des exceptions et d’élargir les conditions de maintien sur le territoire sur le fardeau de la preuve de leur intégration.

Si nous pouvons espérer une certaine compassion vis-à-vis des cas liés à la situation exceptionnelle, rien n’est encore garanti pour la crise économique à venir et ses conséquences sur l’emploi de ces personnes.[5]

Des frontières « fermées »

Il convient de noter que la fermeture des frontières due à la situation épidémique implique plusieurs questions pour les personnes issues de l’immigration. Si on aurait pu espérer que les personnes en fin de droit ne pourraient logiquement pas être renvoyées tout de go, la situation ne reste pas moins incertaine. En effet, les procédures de renvoi n’ont pas été gelées malgré la crise, donnant lieu à un situation aberrante, où des personnes risquent l'expulsion alors que les frontières ont été fermées au reste des habitant·e·s pour contenir le virus.[6]


Relevons également l’effet psychologique de la fermeture des frontières sur les étranger·ère·s En effet, si certain·e·s s’inquiètent de savoir s’ils et elles auront droit de partir en vacances à la plage cet été, l’inquiétude est d’autant plus grande pour ceux et celles qui ont leurs proches au-delà des frontières.

Si l’on résume, la situation pandémique et économique mondiale a des conséquences exacerbées sur les couches les plus précarisées de notre société. En regardant de plus près, les travailleurs et travailleuses qui sont au front et dans les métiers les plus affectés par les mesures sanitaires sont majoritairement des femmes*, mais également des immigré·e·s.

Cette situation implique de nombreuses conséquences administratives particulières, qui peuvent aller jusqu’à risquer de perdre le droit de rester sur le territoire suisse alors qu’ils et elles sont des acteurs et actrices majeur de notre économie, plus encore en ces temps de crises.

De plus, le fait de “ne pas être d’ici” et la rhétorique qui entoure ce genre de propos participe grandement à la délégitimation de ces personnes. Cette dernière à des conséquences dramatiques, leur faisant renoncer à leur droits fondamentaux, par peur ou par méconnaissance, dégradant plus encore leur niveau de vie. Si cela ne suffisait pas, les politiques xénophobes et racistes de l'extrême-droite ne font entériner la situation déjà aberrante de ces personnes.

Si désormais la lumière à été mise sur les métiers les plus essentiels et les plus précaires de notre société, les situations particulières qu’elles traversent en raison de leur genre ou de leur nationalité doivent être elles aussi être mises en évidence. Cette crise épidémique a montré que celles et ceux qui font tourner la marche du monde ne sont pas traders ou les PDG, mais bel et bien ces femmes* et hommes*, souvent des immigré·e·s, que ce système exploite et oublie. Ne les oublions pas.


Margarida Janeiro




[1] Organisation Internationale du Travail (OIT), Classification internationale type des professions (CTIP), URL : https://ilostat.ilo.org/fr/resources/methods/classification-occupation/

[2] OFS, 13 février 2020, Enquête suisse sur la population active, « Selon différentes nationalités: personnes actives occupées par groupes de professions CH-ISCO-19 et sexe,

[3]CHUV, Rapport annuel 2018, “Effectifs et démographie”, URL: https://rapportsannuels.chuv.ch/activite/2018/4-7-effectifs-et-demographie

[4] Iaz, C., 22 avril 2020, « La fragilité des sans-papiers accentuée par la crise sanitaire », in Le Temps, URL : https://www.letemps.ch/suisse/fragilite-sanspapiers-accentuee-crise-sanitaire

[5] Fauchère, Y, (juriste), avril 2016, “Aide sociale et fin du droit de séjour”, Association romande et tessinoise des institutions d’action sociale

[6] Vuillemier, M., 24 mars 2020, « Pas question de geler les procédures d’asile pour lutter contre le coronavirus », swissinfo.ch, URL : https://www.swissinfo.ch/fre/politique/politique-migratoire_pas-question-de-geler-les-procédures-d-asile-pour-lutter-contre-le-coronavirus/45637464


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